lundi 26 septembre 2016

Frère Rhéal Rancourt, capucin (1941-2016)

Noëlville, le village d’origine du frère Rhéal Rancourt, est un peu à l’écart du grand axe routier qui relie Toronto à Sudbury. À mi-chemin de la grande métropole et de l’importante ville minière se déploie une zone agricole constituée de petites fermes familiales dont les rendements, vu le climat nordique, ne sont pas spectaculaires. André Rancourt et Bertha Ouellet, les parents de Rhéal, qui est né en mars 1941, y ont élevé leurs enfants dans la conscience qu’on ne peut pas survivre sans travailler dur. Lorsque Rhéal, étudiant de 17 ans à l’école locale, a parlé de devenir capucin, trois de ses frères de 21, 19 et 15 ans étaient déjà au travail à plein temps. Un seul, qui n’avait encore que 14 ans, fréquentait l’école comme lui. Ses parents, à la religion simple et franche, ont consenti à son projet, même s’ils avaient un peu compté sur lui pour contribuer au bien-être de la famille dont les ressources ne sont pas surabondantes.

Les fraternités de Capucins les plus proches de Noëlville sont à 500 km de là dans deux directions opposées : Ottawa au sud-est et Timmins au nord. Rhéal ne les a donc jamais fréquentées. Mais les capucins parcourent quand même cette région francophone comme prédicateurs de retraites paroissiales, et North Bay, la petite ville voisine, 100 km à l’est de Noëlville, a déjà offert plusieurs frères à l’Ordre. Pas étonnant, dès lors que le frère René McGuire, pionnier de la pastorale des vocations, visite les écoles et propose la vie capucine aux jeunes gens qui abordent la vie d’adulte.

Rhéal entrera donc au noviciat de Cacouna en mars 1960 après avoir suivi deux ans de formation à l’École Saint-Conard de Cap-Rouge, où les capucins avaient organisé une démarche d’introduction à la vie de religieux laïc. Le frère Charles-Auguste Morin, qui était alors responsable de cette institution, avait reconnu chez Rhéal des qualités que l’on appréciera toute sa vie. Il le considère « intelligent, plein de gros bon sens terrien, réfléchi, d’humeur égale». On note aussi qu’il est timide, très discret, facilement isolé mais au demeurant bon compagnon. Frère David Boudreau, maître des novices, confirmera ce jugement lorsque viendra pour Rhéal le temps des premiers voeux qu’il fera le 8 avril 1961.

Suivront les trois années préalables aux voeux perpétuels que Rhéal vivra à Montréal, au couvent de La Réparation, sous la houlette du frère Jacques Bleau. Cheminement paisible, enracinement serein, acquisitions de compétences nouvelles mais constance de la personnalité : frère Rhéal mérite la confiance que l’on a mise en lui. Sa famille religieuse, aussi bien que sa famille naturelle, l’accompagnera dans la joie de sa profession perpétuelle, le 16 mai 1964. Cette date, au milieu d’une fin de semaine allongée par un jour férié, Rhéal l’avait justement choisie pour permettre aux siens de faire le long voyage jusqu’à Montréal.

Après la profession perpétuelle vient le temps des obédiences : de 1965 à 1968, frère Rhéal sera successivement membre des fraternités d’Ottawa, de Cap-Rouge et de La Réparation. Curieusement, le service qu’il y rendra sera très différent de ceux pour lesquels on lui avait discerné des aptitudes au cours de sa formation : on l’avait reconnu doué pour la menuiserie, la couture et la cuisine. Mais voilà que pour répondre aux besoins des fraternités, Rhéal se révèle un excellent économe. Il devient vite un comptable minutieux et maîtrise la gestion comme s’il s’y était préparé depuis longtemps. C’est qu’au fond, Rhéal le timide, le réservé, est un homme bourré de talents et tout à fait disposé à servir ses frères. Il s’exprime peu en communauté, mais il sait en percevoir les besoins et y répondre avec à-propos.


Toujours en service à la fraternité de La Réparation
En février 1968, frère Rhéal recevra la réponse à une lettre qu’il avait écrite dès décembre 1964. En effet, il avait alors écrit au ministre provincial : « Voulant, en vrai Frère Mineur, suivre les traces de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de notre séraphique Père saint François, propager la gloire de Dieu parmi les Sarrasins et les autres infidèles, je désire, avec votre consentement et dans une obéissance totale, me consacrer tout entier à la vie missionnaire. Je viens vous faire cette demande, profitant de ma première retraite annuelle depuis ma profession solennelle ». L’obédience missionnaire du frère Rhéal est datée de février 1968 et elle l’aura conduit au Tchad pour une belle durée de huit ans.

Le premier service qu’on lui demandera au Tchad sera d’assister le frère Emmanuel Saint-Pierre comme mécanicien au garage de Laï. Mais rapidement, ce sont des tâches administratives qu’on voudra lui confier. Rhéal deviendra donc l’économe de la mission des Capucins canadiens, le Vicariat Général de la Tandjilé. Il résidera à Moundou et assistera les vicaires généraux, le frère Roch Picard, d’abord et ensuite le frère Jean-Jacques Filiatrault. Il verra pour eux, et de manière très efficace, à l’administration de la menuiserie de Kélo, du garage de Laï et du service des constructions. Il s’occupera d’approvisionner l’une en bois et l’autre en pièces de rechange, et le troisième en matériaux de construction ; il assurera pour tous le paiement des salaires et des charges sociales et veillera à ce que des moyens de transports soient disponibles là où il les faut. La gestion qui lui est confiée est complexe : les « affaires » se traitent aussi bien en France et à Montréal qu’au Tchad. Rhéal comprend le système et y évolue avec la même aisance qu’il aurait pu avoir à gérer une petite ferme à Noëlville. Il a modernisé la gestion économique de la mission et donné à ses frères les moyens d’être plus entièrement disponibles dans leurs divers ministères.

Lorsqu’il est rentré à Montréal en 1979, le frère Rhéal Rancourt s’est joint à la fraternité Saint-Vincent-de-Paul dont il sera l’économe jusqu’en 2012. Mais ce n’est là qu’un petit travail pour lui. Invité par le frère Aubert Bertrand, il acceptera l’emploi de comptable de l’Entraide Missionnaire, un organisme de coopération et d’animation. Durant dix-huit ans au service de cet organisme, Rhéal déploiera les mêmes talents qu’il avait démontrés au Tchad. Comptabilité impeccable, gestion précise, prévoyante et efficace. L’Entraide enchaîne réunions, sessions et congrès, l’intendance suit ! De la location de locaux à l’approvisionnement des pauses-santé, Rhéal sait tout prévoir. Il s’occupe des publications, des impressions et des expéditions. Il s’assure de l’entretien des locaux avec la même efficacité que de l’achat des fournitures de bureau. Et pour quiconque travaille à l’Entraide, Rhéal est un compagnon souriant serviable et accommodant.

Pour répondre au besoin de la Province, Rhéal a laissé cet emploi en 1997 afin de collaborer à l’administration provinciale. Là aussi, son efficacité et sa bonne humeur seront hautement appréciées non seulement par ses collègues de travail, mais aussi par tous les frères qui visitent la Maison provinciale. Rhéal est heureux au service des siens.

Cela dure jusqu’en 2005. Le 28 mai Rhéal est terrassé par un AVC. Cette catastrophe était vraiment imprévisible. Rhéal menait une vie saine, il avait toute les apparences de la bonne santé et faisait régulièrement de l’exercice sous la forme de longues randonnées à bicyclette. Allez vous expliquer ces choses-là !

Physiquement, il s’en remettra. Mais il a perdu la mémoire... Il ne reconnaît plus que très peu de gens ; tous les autres, il lui faut les accepter sans leur passé... Il avait toujours été très discret, il aura désormais des raisons de l’être plus encore. C’est grâce à la patience et à l’amitié du frère Grégoire Pâquet qu’à travers biens des apprentissages, il reprendra peu à peu une vie qui a l’apparence de la normalité. Il arrivera même à reprendre l’économat de sa fraternité. Mais il ne pourra pas faire davantage.

En 2012, Rhéal viendra vivre à La Réparation. Il se rend utile mais il est fragile. On apprendra bientôt qu’il est atteint d’un cancer des os et de la leucémie, funeste combinaison...

Ce 20 septembre dernier, on le conduit à l’hôpital où il est admis aux soins intensifs, car il souffre d’une pneumonie sévère. La veille encore, il tondait le gazon... et participait aux prières du choeur malgré une évidente difficulté à respirer. Il est décédé le 21 septembre. Il avait 75 ans.

Rhéal, nous avons tous accepté ton choix de la réserve et de la discrétion. Mais à réfléchir sur ton beau parcours, nous ne pouvons nous empêcher d’admirer malgré lui le frère splendide que le Seigneur – et ta famille – nous a donné et qu’il vient de rapatrier au plus près de sa tendresse.

Une rencontre de prières et d'hommage aura lieu le mercredi 28 septembre à 18 h 30  à la Chapelle de La Réparation. Les funérailles y seront célébrées le jeudi 29 septembre à 11 h, en présence des cendres.
Avant son départ pour le Tchad en 1968

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